Jeux olympiques de l’eSport : le CIO appuie sur “pause”
L’idée faisait rêver : voir les meilleurs gamers du monde brandir une médaille olympique, manette en main, sous les cinq anneaux mythiques. Le Comité International Olympique (CIO) avait promis une révolution : celle des Jeux olympiques de l’eSport, fusion entre sport traditionnel et compétition numérique. Mais quinze mois après l’annonce, la réalité ressemble plus à un écran de chargement infini qu’à une partie lancée. Retards, partenariats brisés et débats sans fin : le projet existe toujours, mais son avenir reste flou. Alors, que prépare vraiment le CIO et surtout, l’eSport a-t-il vraiment besoin des Jeux pour être légitime ?
Le grand report : un rêve repoussé à 2027
Au départ, tout semblait se dérouler comme dans un trailer bien calibré. En 2023, Thomas Bach, président du CIO, annonçait fièrement que les premiers Jeux olympiques de l’eSport étaient “en train de devenir une réalité”. L’objectif initial ? Une première édition dès 2025.
Mais entre les promesses et la mise à jour du projet, la latence a été rude. En février 2025, le CIO a officiellement repoussé le lancement à 2027, affirmant vouloir “prendre le temps de faire les choses bien”. Et, coup de tonnerre fin octobre : rupture du partenariat avec la Esports World Cup Foundation (EWCF), l’organisation saoudienne censée piloter l’événement sur douze ans.
Officiellement, il s’agit d’une “pause stratégique”. En réalité, la greffe n’a jamais vraiment pris. L’alliance entre un CIO figé dans ses traditions et une fondation saoudienne ambitieuse mais controversée tenait plus du duel entre deux écoles que d’une vraie coopération.
D’un côté, une institution centenaire obsédée par les règles ; de l’autre, un acteur qui mise sur la démesure et les effets d’annonce. Résultat : un décalage culturel digne d’une partie jouée sur deux consoles incompatibles. Le CIO préfère aujourd’hui reprendre la main, quitte à tout reconstruire depuis zéro, pour imaginer un modèle plus cohérent et respectueux de l’esprit compétitif déjà incarné par les plus grands champions de l’eSport, ces prodiges qui ont donné au gaming ses lettres de noblesse et inspiré des millions de joueurs à travers le monde.
Une alliance saoudienne vite surchauffée
Sur le papier, le partenariat avait fière allure. L’Arabie Saoudite, nouvel eldorado du sport et du numérique, mettait à disposition ses infrastructures, ses ressources et son influence grandissante. L’EWCF devait apporter son savoir-faire : sélection des jeux, structure des tournois, engagement communautaire. De son côté, le CIO conservait la supervision symbolique et l’étiquette “olympique”.
Mais rapidement, la formule s’est grippée. D’abord, les agendas se sont percutés : l’Arabie Saoudite annonçait de son côté une Coupe des Nations eSport pour 2026, juste avant les Jeux olympiques virtuels. Trop de projets, trop proches. Ensuite, les visions divergeaient : là où le CIO prône l’universalité, la neutralité et le fair-play, le partenaire saoudien cherchait la visibilité et la vitrine mondiale.
Comme le résume Sylvie Le Maux, responsable eSport au CNOSF :
“J’avais l’impression d’un mariage dont personne n’était vraiment convaincu. Si on n’arrive pas à aligner tout le monde, mieux vaut faire une pause.”
Le message est clair : le CIO veut garder le contrôle et éviter de transformer les Jeux de l’eSport en simple vitrine d’influence.
Deux mondes, deux visions du sport
La question n’est plus de savoir si le gaming doit entrer aux Jeux olympiques, mais comment le faire sans trahir son ADN. Peut-on vraiment faire cohabiter l’esprit du marathon et celui du multijoueur en ligne ?
D’un côté, le CIO veut un cadre propre, normé, où chaque discipline dépend d’une fédération internationale, un modèle pensé pour l’athlétisme, pas pour League of Legends. De l’autre, l’eSport repose sur des éditeurs privés (Riot, Valve, Epic Games…), qui possèdent les licences et fixent les règles du jeu. Impossible d’imaginer un tournoi League of Legends sans Riot, ni un Counter-Strike 2 sans Valve : le CIO ne contrôle rien, pas même les manettes.
Et c’est bien là tout le casse-tête.
S’il se limite à des jeux “sportifs” comme le tennis virtuel ou le cyclisme numérique, le CIO perdra ce qui fait la force du gaming : sa créativité, son audace, son énergie. Mais s’il ouvre la porte aux blockbusters compétitifs, il devra composer avec des géants économiques qui n’ont rien de fédérations sportives.
Sylvie Le Maux, du CNOSF, l’a dit sans détour :
« Tu ne peux pas faire des Jeux du eSport sans League of Legends ou Counter-Strike. Sinon, tu perds toutes les communautés. »
Et elle n’a pas tort. Car derrière chaque titre majeur, il y a des fans, des infrastructures, et surtout des équipes mythiques qui façonnent l’histoire du eSport mondial. Pour mesurer l’ampleur du phénomène, il suffit de jeter un œil au classement des meilleures teams eSport : T1, Team Vitality, OG, FaZe Clan, G2… Ces organisations ont transformé le gaming en véritable scène professionnelle, avec ses légendes, ses rivalités et son prestige international.
En clair : sans les gamers, il n’y a pas de jeu. Et sans cadre crédible, il n’y a pas de Jeux. Le CIO avance donc sur un fil, entre rigueur olympique et culture numérique, en essayant de ne pas tomber dans le gouffre qui sépare les deux mondes.
Un bol d’air pour repenser le projet
Ce report à 2027, loin d’être une catastrophe, pourrait finalement être la meilleure nouvelle du dossier. Le CIO s’offre un délai pour repenser sa copie et, surtout, acculturer ses partenaires.
Cette pause permet de travailler sur les points critiques :
- Les titres sélectionnés (sportifs, compétitifs ou hybrides).
- Les conditions de qualification des joueurs et des équipes.
- Le modèle économique, entre droits de diffusion et sponsoring.
- La gouvernance, c’est-à-dire qui décide quoi.
Pour une institution habituée à planifier dix ans à l’avance, le monde de l’eSport qui est fluide, changeant et dominé par la vitesse est un vrai terrain d’apprentissage.
“On a un petit bol d’air pour prendre le temps d’expliquer, d’acculturer… sans être oppressé par la nécessité de sélectionner très vite une équipe de France”, explique Sylvie Le Maux.
Autrement dit : le CIO est encore en phase de tutoriel.
Le potentiel : une révolution culturelle à portée de clic
Si le projet arrive à bon port, les Jeux olympiques de l’eSport pourraient transformer en profondeur la perception du jeu vidéo.
Imaginez : des athlètes numériques représentant leur pays, un public mondial, des sponsors historiques, des cérémonies d’ouverture aussi spectaculaires qu’un show de la League of Legends World Cup. Pour des millions de jeunes, ce serait une reconnaissance historique : enfin, le gaming sortirait du cliché du “divertissement de salon” pour devenir une discipline à part entière.
L’impact serait double :
- Social, en attirant une génération souvent déconnectée du sport traditionnel.
- Culturel, en montrant que concentration, stratégie et travail collectif peuvent se conjuguer sans transpirer.
Mais attention : pour que la magie opère, il faudra que le CIO apprenne à parler la langue du gaming. Moins de protocoles, plus de passion. Moins de rigidité, plus d’ouverture. L’eSport n’a pas besoin d’être “olympisé”, il doit être compris, respecté et amplifié.
Quel avenir pour les Jeux Olympiques du eSport ?
Les grandes lignes se dessinent lentement. Le CIO veut instaurer un modèle autonome, avec un événement organisé tous les deux ans, en alternance avec les Jeux d’été et d’hiver. L’idée serait d’y mélanger titres compétitifs populaires (LoL, CS2, Fortnite, Rocket League) et simulations sportives plus proches de l’ADN olympique.
Le lieu d’accueil reste inconnu puisque l’Arabie Saoudite n’est plus candidate officielle. Mais plusieurs pays asiatiques comme la Corée du Sud ou Singapour seraient dans les starting-blocks. Le CIO promet un lancement “le plus tôt possible”, sans date précise.
En attendant, la communauté regarde, curieuse. Certains espèrent une consécration planétaire du gaming ; d’autres redoutent une version édulcorée, trop institutionnelle. Une chose est sûre : le chantier est immense, et la partie à peine commencée.
Encore une manche avant la victoire
Les Jeux olympiques de l’eSport avancent, lentement mais sûrement. Le CIO cherche encore son équilibre entre tradition et innovation, entre dopage à la caféine et dopage à l’endorphine. Le concept fascine, mais il reste à prouver qu’il ne sera pas juste un gadget de communication.
Alors oui, gardez vos manettes branchées, mais pas la peine de spammer “Start” pour l’instant. Le jeu se charge encore. Et si tout va bien, la première médaille d’or du gaming mondial pourrait tomber en 2027, dans une arène où le souffle des stades rencontrera enfin le bruit des clics.

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